En 2013/2014, plus de 54,600 jeunes, âgés entre 18 et 35 ans ont débarqués en Nouvelle Zélande, un Working Holiday Visa (WHV) en poche. Ce chiffre n’a cessé de progressé ces dernières années notamment suite à la signature d’accords avec de nouveaux pays. On comptait ainsi un peu plus de 8200 working holidaymakers en 1998 pour 7 pays participants, plus de 38 900 jeunes originaires de 30 pays pour l’année 2008/2009 et aujourd’hui, 42 pays participent à ce programme. Le Working Holiday Visa - Permis Vacances Travail - offre la possibilité de séjourner et de travailler en Nouvelle Zélande durant 6 à 12 mois selon les accords (24 mois pour les Anglais). 24 pays sont sujet à des quotas, mais pour les français et 14 autres pays cela reste une formalité simple[1], rapide (15 à 20 jours) et flexible car on peut faire la demande tout au long de l’année. Plus de 4800 français ont ainsi décollé en 2012/2013 vers le pays des All Blacks et des Hobbits.
Mais pourquoi la Nouvelle-Zélande a-t-elle ainsi renforcé ce programme d’échange? Et que viennent expérimenter ces jeunes ?
Un secteur agricole dynamique en demande de main d’œuvre
Selon le gouvernement néo-zélandais « Les programmes Vacances-Travail (Working Holiday Scheme (WHS)) ont pour but de promouvoir les échanges entre personnes et la compréhension culturelle entre les pays partenaires. Les WHS n’ont pas été conçus pour répondre aux besoins du marché du travail dans un secteur ou une région en particulier. Le principal objectif des Working Holiday Makers (WHM) doit être de séjourner en vacances en Nouvelle-Zélande, tout travail entrepris devant être secondaire. » (MBIE, Avril 2014).
Cependant, lorsqu’on commence à se renseigner sur ce programme, on est assez vite orienté vers le travail saisonnier en milieu agricole. La section emploi du site francophone de référence, PVTiste.net a ainsi fait tout un dossier sur le fruit picking (la cueillette), le packing (le conditionnement) et sur les autres travaux saisonniers agricoles. Il faut dire que manque de main d’œuvre dans le secteur agricole, horticole et viticole était à ce point préoccupant il y a quelques années qu’on envisageait qu’il puisse limiter le développement économique du pays. En effet, l’économie d’exportation néo-zélandaise est tributaire de ces secteurs, lesquels se sont fortement développés et transformés ces 30 dernières années. Selon le ministère de l’industrie primaire, l’agriculture ainsi que les secteurs de l'alimentation et de la sylviculture génèrent 70% des recettes d'exportation de marchandises et environ 12% du produit intérieur brut. Les produits laitiers représentent plus d’un quart des marchandises exportées et la viande d’ovins et la laine restent des produits phare d’exportation. La Nouvelle-Zélande s’est aussi positionnée, en quelques années, sur le marché vinicole international. Or, le nombre d’ouvriers agricoles nationaux est insuffisant au regard des besoins. Il a même été estimé que les tentatives pour assurer la main-d'œuvre au cours des années de pénuries de main d’œuvre ont conduit près de 80% des producteurs à faire appel à des travailleurs étrangers saisonniers illégaux. Cette situation a conduit des groupes de producteurs, des industriels et des représentants du gouvernement à se rassembler afin de réfléchir à des solutions. C’est ainsi que différentes mesures ont vu le jour. Jerf Van Beek, responsable national du travail saisonnier chez HortNZ depuis 2006, principal représentant des producteurs horticoles, travaille aujourd’hui surtout sur le programme de Recognised Seasonal Employer (RSE). Celui-ci a vu le jour en 2007 et permet d’organiser la venue de travailleurs temporaires originaires des îles du Pacifique tel que Tonga, Vanuatu, Samoa, Fidji, Tuvalu, Kiribati et Salomon. Cet accord a l’avantage de garantir davantage de stabilité aux employeurs. En effet, cette expérience peut-être renouveler plusieurs années et les islanders sont liés à leurs employeurs contrairement aux Working Holidaymakers.
Mais avant de se concentrer sur ce programme, Jerf Van Beek et son équipe ont misé sur le Working Holiday Scheme. Ils ont mis en place un important plan marketing, s’appuyant sur une stratégie de communication à l’échelle internationale pour encourager la venue de saisonniers en Nouvelle Zélande, qu’ils ont renforcé par la mise en place d’un réseau d’acteurs et de structures régionales pour organiser l’embauche de travailleurs saisonniers « Nous avons mis en place le site web PickNZ que nous avons designer pour les jeunes. Nous avons développé des coordinations régionales comme Seasonal Solution dans le Central Otago. Nous imprimions des plaquettes que nous glissions dans les mallettes diplomatiques de l’ensemble des pays avec qui nous avions signé un accord de Working Holiday. […] J’encourageais les jeunes qui travaillaient sur mon exploitation (de pommes) à en parler à leur retour au pays, avec l’idée qu’un réseau d’immigration se mette en place. ». Les working holiday (WH) peuvent aussi prolonger leur séjour de trois mois s’ils démontrent qu’ils ont travaillé au moins trois mois à la plantation, au maintien, à la récolte et/ou à l’emballage de culture. Cette mesure incitative et ce travail de communication ont porté leurs fruits. Les Working Holidays représentent aujourd’hui une part non négligeable de la main d’œuvre agricole. Durant les pics de productions, ils peuvent représenter jusqu’à 50% des employés dans certaines entreprises.
Ces jeunes espèrent souvent pouvoir combiner travail et voyage, les bassins de production étant répartis sur le territoire de la Nouvelle-Zélande. Mais travailler en tant que saisonnier agricole n’est pas si évident.
Saisonnier agricole, un statut précaire
Les emplois restent des emplois de saison, à durée limitée, de quelques jours à quelques mois, géo-localisés. Les Working Holiday (WH) servent principalement de main d’œuvre d’appoint. Ils sont en concurrence avec les néo-zélandais qui sont prioritaires sur les emplois (politique du New Zealand first), mais aussi avec les islanders ayant un visa Recognised Seasonale Employer (RSE) et les autres Working Holiday (WH). Or, lorsque l’on regarde le tableau réalisé par HortNZ récapitulant les besoins en matière de main d’œuvre saisonnière, sur l’année en fonction des régions, on peut déjà deviner que trouver du travail ne sera peut-être pas si facile que ça, notamment en hiver et surtout en automne (3 575 personnes requises en septembre sur l’ensemble du territoire). Le tableau ne concerne certes que le secteur horticole, mais il permet d’identifier des périodes de creux d’activités agricoles qui ne sont pas forcément compensés par d’autres secteurs économiques tel que l’hôtellerie-restauration (l’hiver les emplois saisonniers autour des stations de skis restent limités) ou l’industrie (celle-ci étant fortement liée aux productions agricoles).
Autre difficulté majeure, identifier les périodes de production. Comme le raconte Cristobal, un Chilien, « toute la difficulté est d’arriver au bon moment. Souvent tu arrives en avance et tu dois attendre quelques jours voire plusieurs semaines, sans garantie d’embauche pour autant. Ou alors, tu arrives trop tard et les postes ont été pris. Et tu ne sais pas si ça vaut le coup d’attendre qu’une place se libère ou s’il vaut mieux partir tenter ta chance ailleurs… ». L’agriculture est en effet fortement dépendante des conditions climatiques, des catastrophes naturelles et des maladies. La période de maturité des fruits et légumes varie d’une année à l’autre de même que la quantité produite, ce qui a un impact direct sur le besoin en main d’œuvre. La saison des kiwis dans la Bay of Plenty par exemple, a démarré près de trois semaines plus tard en 2013 par rapport à l’année 2012 et s’est terminée début juin en 2013 alors qu’elle s’était étendue jusque fin juin en 2012.
La plupart des tâches agricoles sont physiques. Il n’est pas rare de voir dans les annonces les adjectifs healthy, fit ou encore strong en d’autres termes ils demandent des personnes robustes et en bonne santé. Les semaines de travail parfois très longues, la Nouvelle Zélande n’ayant pas légiféré sur un nombre maximal d’heures de travail, ajoutent à la difficulté. Cette pénibilité transparaît dans les témoignages des jeunes décrivant leur expérience de pruning, stripping ou encore wrapping dans les vignobles, soit de coupe, d’arrachage et de fixation des branches autour de supports, des tâches se déroulant en hiver. « Certains matins il fait si froid que même les deux paires de chaussettes ne suffisent pas. Parfois mes mains sont tellement gelées que j’ai du mal à me servir du sécateur » raconte Yung, originaire de Malaisie. La peau est sèche et craquelle. Le soir, nombreux sont ceux à témoigner de fourmis dans les mains. « Une nuit, je me suis réveillée et j’avais envie de pleurer tellement j’avais mal » raconte Romina, une Argentine. Pendant l’été, période de cueillette des cerises, des abricots, des fraises ou encore des cassis, le soleil et la chaleur peuvent être difficiles à supporter. Pour la cueillette, il faut se courber, monter sur des échelles et porter de lourdes charges. Ces travaux accessible à tous car ne nécessitant pas de diplômes particuliers demandent cependant une bonne forme physique.
Des situations d’exploitations
Les travaux en extérieur sont souvent payés à la pièce, laissant entrevoir la possibilité de gagner plus que le salaire minimum. En réalité, cela dépend beaucoup des capacités physiques et techniques de chacun ainsi que de l’évolution de la production. Gabriela[2] gagnait 70 à 80 dollars pour 8hrs à 10hrs de travail par jour payées 0.36cts par pied de vigne de 4 branches à enrouler soit environ 350 à 400 dollars par semaine de 5 jours. Liu était payé au même tarif et gagnait jusqu’à 650 dollars par semaine pour 5 à 6 jours de travail par semaine, 8hrs à 10hrs par jours. Quand à Jimmy, il explosait les performances, gagnant 1000 à 1200$NZ par semaine mais travaillait 10 à 12hrs par jour, six à sept jours par semaine.
Les employeurs étant tenus de payer dans tous les cas le salaire minimum légal (14,25$NZ brut par heure depuis le 1er avril 2014), cette rémunération à la pièce génère une pression supplémentaire sur les Working Holiday incapables de tenir les objectifs.
Max et Julia, de jeunes allemands de 20 et 19 ans respectivement, ont été renvoyés trois fois en raison de leur manque de productivité et ont changé quatre fois de contractors (un prestataire assurant le recrutement de la main d’œuvre et les travaux agricoles souvent pour différents clients) en deux mois et demi de travail dans les vignobles à Blenheim.
De plus, certains employeurs peu scrupuleux, profitant de la situation précaire de ces jeunes et de leur méconnaissance des lois néo-zélandaises, n’hésitent pas à les payer en dessous du salaire minimum légal et ne respectent pas les pauses réglementaires.
Gabriela et Ricardo[2] ont cueilli les kiwis vers Te Puke durant les deux premières semaines de juin « c’était affreux, surtout à cause du contractor que nous avions, un indien. Il ne nous accordait que 10 minutes de pause sur 9hrs de travail par jour. On avait mal partout, notamment aux épaules. On mettait les kiwis dans des sacs que l’on portait devant nous qui pesaient une fois rempli entre 25 et 30 kgs. Il ne nous payait que 60$NZ par jour. Mais on ne parlait pas anglais, c’était notre première expérience et on ne comprenait pas vraiment ce qui se passait. On ne connaissait pas nos droits. Et puis, certains collègues avaient travaillés deux mois avec lui, alors on croyait que c’était normal!». Ces derniers ont par la suite travaillé pour un contractor illégal, qui ne les déclarait pas et les payait en dessous du salaire minimum. Mais ayant besoin d’argent et n’ayant pas trouvé d’alternative, ils ont accepté ce contrat durant plus de deux mois.
Ces situations d’exploitation sont connues. Et bien que des mesures aient été prises par le gouvernement afin d’endiguer le phénomène et que la situation semble s’être améliorée, celle-ci reste une réalité. Le Department of Labor mène ainsi des enquêtes qui aboutissent parfois à des arrestations. Sept contractors du secteur viticole du Malborough ont été mis en examens en juin 2013 suite à une enquête réalisée par les inspecteurs ayant interviewé 50 employés. A aussi été mis en place en 2006 un programme de certification des contractors. Ce certificat est délivré après qu’un audit ait été réalisé garantissant que les droits du travail sont respectés. Cependant, cette formalité n’est pas obligatoire et comme le dit Ken Prouting, contractor de Provine à Blenheim, ceux qui la demandent le font pour présenter une bonne image ou veulent embaucher des RSE, et se retrouvent alors dans l’obligation d’obtenir ce certificat.
Le manque de dénonciations représente un frein pour rompre avec ces situations d’exploitation. La plupart des Working Holidays n’osent en effet pas faire les démarches pour plusieurs raisons : parce qu’ils ne maîtrisent pas bien l’anglais, parce qu’ils ne comprennent pas leurs fiches de salaires, parce qu’ils ne savent pas à qui s’adresser n’étant pas familiarisé avec les institutions néo-zélandaises, parce qu’ils se disent que ces démarches vont demander du temps voire de l’argent, parce qu’ils sont isolés et ont peur d’avoir des problèmes ou tout simplement parce qu’ils ne sont pas familiarisés avec le droit du travail en général et ne se sont pas renseignés sur leurs droits.
Stela, 23 ans, originaire de République Tchèque, a travaillé durant 4 mois dans les vignes vers Wellington, 8hrs par jours, 6 jours par semaine et n’a reçu que 160$NZ les deux premières semaines puis 270$NZ puis un peu plus… Elle a du mal à en parler. Elle se sent à la fois blessée et coupable. « C’était la première fois que je voyageais seule et les premiers mois j’avais peur, je n’osais pas changer d’endroits, bouger. En plus je ne parlais pas l’anglais. Et puis je ne voulais pas avoir de problèmes, je ne voulais pas qu’elle (son contractor) tombe malade parce que je l’avais dénoncé ! ». Or malgré les heures de travail cumulées elle n’a pas pu mettre de l’argent de côté et a dû faire appel à la solidarité familiale, au moins le temps de retrouver un autre emploi et de mettre quelques sous de côté. Elle a aussi pu profiter du bénévolat, pratique courante en Nouvelle-Zélande, pour économiser sur le logement en échange de services rendus quelques heures par jours à son hôte.
Les cautions demandées par certaines auberges (les backpackers) représentent un autre abus. Ces derniers proposent en effet de mettre en relation les Working Holiday avec des employeurs. Ils espèrent par ce service rendu, attirer de la clientèle et la contraindre à rester en raison du contrat moral ainsi scellé. Or, certains backpackers vont jusqu’à demander une caution engageant le travailleur à aller au bout de son contrat de travail et à rester à l’auberge. Mathieu raconte ainsi sur <a href="http://trip-au-bout-du-monde.over-blog.com/article-blenheim-or-not-blenheim-109649670.html">son blog</a> comment il a pu entrer à l’usine de Talley’s à Blenheim en septembre 2012 en donnant 200$NZ de caution au Peacehaven Backpacker, cela alors que le jour précédent il s’était présenté dans cette entreprise et qu’on lui avait assuré que l’ensemble des postes étaient comblés. Il s’était engagé à rester six semaines, mais est finalement resté neuf semaines. Il est resté principalement au backpacker pour ne pas perdre sa caution. Il n’a échangé son lit superposé qui grinçait et pour lequel il payait 130$NZ par semaine contre un lit double dans une maison plus confortable pour lequel il payait 80$NZ qu’à la fin de son contrat à Talley’s. Steve Watson, manager du Département du Travail du Marlborough m’a confirmé que cette pratique est illégale et qu’une procédure peut être engagée par un inspecteur du travail sous la Section 12A of the Wages Protections Act. Je suis moi-même passée au Peacehaven Backpacker en janvier 2014. Ils m’ont proposé de travailler 3 mois à Talley’s en échange d’une caution de 270$NZ.
Des rythmes de travail très variables
Certains jeunes se rabattent sur les packhouses autrement dit les usines de conditionnement en espérant trouver des situations moins problématiques. Ces emplois sont souvent payés à l’heure et sont moins dépendants de la météo (ils le deviennent lorsque les stocks sont insuffisants pour poursuivre l’activité). Mais les conditions de travail ne sont pas nécessairement plus faciles. Les tâches sont répétitives et statiques, le rythme est soutenu, la cadence étant déterminée par la machine, l’environnement est bruyant. Certains, comme Jimmy, originaire de Chine, préfèrent le travail en extérieur car il se sent plus libre et moins contraint.
Le nombre d’heures de travail journalier et hebdomadaire peut aussi être conséquent et éreintant. L’usine d’emballage de kiwis Seeka à Te Puke, est ainsi organisée en deux équipes de douze heures, entre 8hrs et 20hrs, et tourne six jours par semaine, soit 72hrs hebdomadaires. Ce nombre d’heures totales est rarement réalisé sur la totalité de la saison car les stocks de kiwis sont souvent insuffisants pour tenir la cadence, mais le rythme reste soutenu. Ce nombre élevé d’heures de travail est tout à fait légal. La Nouvelle Zélande n’a en effet pas légiféré sur un nombre maximal d’heure de travail. Un rapport de l’OCDE a estimé que 13% de la population effectue plus de 50 heures par semaine (quand la moyenne de l’OCDE est de 9%). Les études montrent que cette situation augmente le risque d’accidents de travail et de problèmes de santé en raison du surmenage. Or les longues journées de travail sont courantes dans le secteur agricole.
La saisonnalité des productions et leur périssabilité justifie cette cadence. Or, il arrive aussi, qu’à l’inverse, les semaines de travail soient réduites en activité, le nombre d’heures n’étant pas garanties, voire que plusieurs jours d’arrêt s’imposent.
Notre expérience à Bannockburn, chez Akarua, un producteur de vins disposant d’une cinquantaine d’hectares de vignes, l’un des plus grands vignobles de la région, illustre parfaitement la situation. Nous avons fait les vendanges au mois de mars-avril. La première semaine nous avons travaillé quatre jours, pour un total de 32.75 heures. La deuxième semaine cependant, nous n’avons travaillé que 5.25 heures car nous devions attendre que le raisin arrive à maturité. La troisième semaine, nous avons travaillé 19,75 heures en deux jours et la quatrième 47.75 heures réparties sur six jours et la dernière semaine 27.25 heures pour trois jours de vendanges. Cela représente une moyenne hebdomadaire de 26.55 heures pour cinq semaines de travail, payé le minimum, soit un gain suffisant pour couvrir les dépenses courantes mais pas de quoi mettre vraiment de l’argent de côté. Il faut dire que le Central Otago ne dispose pas d’une production viticole, mais plus généralement agricole, d’envergure. Le saison la plus importante a lieu entre décembre et janvier, ne dure qu’un mois et ne requiert que 5000 saisonniers selon les données d’HortNZ, pour la cueillette des cerises principalement.
Un important turn-over
Le caractère éreintant et ennuyeux du travail et les abus mentionnés plus haut amènent certains Working Holiday à arrêter prématurément leur contrat. Il est vrai aussi que certains saisonniers souhaitant voyager retournent sur la route dès qu’ils estiment avoir gagné suffisamment d’argent, même si les conditions de travail sont correctes. Les employeurs critiquent ce turn-over. Le RSE a d’ailleurs été mis en place pour combler le manque de « fiabilité » des WH. En effet, contrairement aux Working Holiday, les RSE signent un contrat pour plusieurs mois qui les lie à un employeur, peuvent revenir les années suivantes et sont reconnus pour leur capacité à tenir un rythme de travail soutenu. Cependant, les démarches administratives et réglementaires pour faire appel aux RSE sont plus lourdes et contraignantes, ce qui limite les possibilités de faire appel à cette main d’œuvre. Cependant, nombre de Working Holiday sont venus avec l’idée d’économiser de l’argent et veulent « faire des heures ». C’est surtout le cas des jeunes pour lesquels le dollar néo-zélandais représente un avantage comparatif avec la monnaie de leur pays d’origine, tel les Chinois et les latinos. Le rapport du Ministère néo-zélandais des Affaires, de l’Innovation et de l’Emploi de 2013[3] a démontré qu’ils passaient la majorité de leur séjour à travailler. Mais, plus généralement, les jeunes étant arrivé avec très peu d’économie et souhaitant poursuivre l’aventure dans d’autres pays notamment l’Asie et les Îles du Pacifique cherchent aussi à cumuler les heures.
Quand la santé physique et des réseaux font la différence
Jimmy a pour objectif de rentrer avec 20 000$NZ, une somme qu’un ami chinois dit avoir réussi à économiser quelques années auparavant. Et on ne peut pas dire qu’il n’y met du sien pour y arriver. Il est exigent en terme de salaire, proactif et enchaîne les saisons, cela quitte à devoir parcourir des centaines de kilomètres. Son rythme de vie est soutenu et il a régulièrement des douleurs au dos qu’il calme à coup de séances d’étirement. C’est ainsi que peu de temps après son arrivée à Auckland, il est parti dans la Hawkes Bay où devait commencer la saison des pommes. Finalement il va cueillir des oranges durant 4 jours puis tendres des câbles pour les pieds de kiwis durant une dizaine de jours. Il descend à Motueka où la saison des pommes a commencé et est employé dans une usine de conditionnement. Le travail ne lui plaisant pas, après deux semaines il demande à faire la cueillette, travail payé à la pièce. Là, il atteint des taux de rendement impressionnants et gagne certains jours jusqu’à 200$NZ, quand il remplit 8 caisses dans la journée, tandis que la plupart des gens n’en remplissent que 2 voire 3 par jour. A la fin de la saison, fin avril, on lui propose d’emballer des kiwis durant deux semaines et demie. A peine terminé, il file déjà direction Blenheim, où il a déniché un plan sur un site internet où les chinois partagent leurs expériences de travail. Mais il est mal payé. Il va alors trouver un autre contractor (un intermédiaire), et finalement un troisième, dont les conditions de salaire et d’emploi lui semblent plus avantageuses. De mi-juin à mi-septembre il va ainsi travailler 10h voire 12h par jour, 6 à 7 jours par semaine, travaillant parfois avec la lampe frontale. Certaines semaines il gagne 1200$NZ! Le wrapping, stripping et pruning terminé, il enchaîne dans une ferme qui produit des fraises en hydroponie. Cependant le nombre d’heure de travail et la quantité de fraises se réduit, les fraisiers ayant des cycles de production variables d’une semaine à l’autre. Alors qu’il est le meilleur cueilleur, ramassant régulièrement entre 18kgs et 22kgs de fraises à l’heure quand la plupart des autres cueilleurs tournent autour de 15 – 18kgs à l’heure, sentant qu’il ne va pas pouvoir mettre beaucoup d’argent de côté, il quitte ce travail et part à la recherche d’un autre emploi. Il va ainsi retourné à Motueka, puis descendre à Christchurch puis à Cromwell pour la saison des cerises et revenir à Motueka en faisant un arrêt rapide à Blenheim, puis terminé son séjour à Christchurch. Cela représente des milliers de kilomètres parcourus, plus de deux milles heures de travail, des milliers de kilogrammes portés, des milliers de coup de sécateurs, beaucoup d’énergie et de confiance en soi. Les réseaux sociaux qu’il a créé au fil des mois lui ont grandement facilité la possibilité d’enchaîner les missions, grâce aux échanges d’informations. Cependant, son dévouement au travail, ses niveaux de productivités très élevés et sa capacité à enchaîner les heures et les missions restent exceptionnelles.
Les jeunes rencontrés ayant vécu des conditions de travail défavorables, s’étaient, pour la plupart, enfermés parfois toute une saison dans celle-ci. Ils espéraient qu’un meilleur plan leur soit communiqué par les différents réseaux amicaux ou professionnels et attendaient qu’une nouvelle saison plus prometteuse débute.
Or les conditions précaires, lorsqu’elles limitent les possibilités d’accumuler un matelas pécuniaire sécuritaire, obligent à retrouver assez rapidement un emploi et à vivre à l’économie.
Des jeunes ayant soif d’expériences et d’aventures
Les expériences de travail en tant que saisonnier agricole, ne sont ainsi, pas toujours faciles. La débrouille, les capacités de rebond et les réseaux peuvent être très utiles pour améliorer cette aventure. Cependant, les aspects positifs de ces expériences ne manquent pas et font relativiser la plupart des jeunes rencontrés. Le cadre professionnelle est souvent riche multi culturellement, car outres les néo-zélandais (maoris compris), beaucoup de migrants originaires des quatre coins du monde travaillent dans l’agriculture. Nombreux sont ceux à avoir intégré l’idée qu’ils allaient vivre avec moins de confort, travailler physiquement. Ils prennent cette expérience avec philosophie, en revendiquant l’envie d’aventure, de découvrir des secteurs d’activités qu’ils n’avaient jusque-là jamais expérimenté. Et bien que les tâches puissent être répétitives et lassantes, nombreux sont ceux à apprécier le travail notamment dans la nature. La découverte de la culture de la vigne, des ambiances de travail sur une chaîne, l’opportunité donné d’apprendre un nouveau métier, à s’occuper d’un cheptel par exemple, et tout ce qu’il y a autour, notamment les rencontres, les ambiances dans les auberges, au camping sont autant d’expériences professionnelles et humaines enrichissantes qui aident à relativiser et dépasser le périodes de précarité et d’insécurité.
Le logement, entre promiscuité, rencontres multiculturelles et réseaux professionnels
Les Néo-Zélandais appellent souvent les Working Holiday les backpackers. Et pour cause, les auberges représentent un espace de vie et d’échange central pour ces jeunes. C’est souvent là qu’ils débutent leurs aventures et qu’ils séjournent. Les conditions d’hébergement peuvent y être précaires. Cuisiner peut présenter des défis aux « heures de pointe » et lorsque les aménagements sont sommaires. Malgré la promiscuité dans les chambres comptant jusqu’à dix personnes et des tarifs souvent plus élevés que dans une colocation, les auberges ont du succès car elles facilitent les rencontres et proposent de mettre en relation les backpackers avec de potentiels employeurs. Ces derniers savent qu’ils peuvent trouver rapidement de la main d’œuvre dans les auberges. Certains ne cherchent d’ailleurs pas à constituer une équipe de saisonniers en avance mais appellent ou passent directement à l’auberge pour recruter de la main d’œuvre au gré de leurs besoins. Cependant la mise en relation avec des employeurs n’est pas automatique. Les récits de jeunes s’étant spécialement rendu dans un backpacker leur ayant promis un travail et ayant attendu plusieurs jours avant de pouvoir commencer ne sont pas rares. Durant les saisons creuses, ils sont en effet eux-mêmes à court d’offres d’emplois. Cependant, il est souvent possible de négocier un hébergement gratuit contre des heures de ménage et/ou d’accueil. Les jeunes partagent aussi pas mal d’informations, s’échangent les bons plans, nouent des amitiés. Les voyageurs solitaires peuvent trouver des compagnons de route. Le cadre y est souvent multiculturel. Certaines auberges essaient aussi de créer une ambiance chaleureuse et familiale. Le Leeway’s Backpacker de Blenheim par exemple, organise une soirée pizza toutes les semaines, propose des visites dans les vignobles, a aménagé un salon à l’ambiance chaleureuse ainsi qu’une salle de jeux, etc.
Les colocations représentent un autre moyen de se loger, souvent plus économique que les auberges, présentant généralement moins de promiscuité même si ce n’est pas toujours le cas. La qualité des aménagements y est très variable.
Il y a enfin le camping qui peut se décliner en deux formes : le payant ou le freecamp (gratuit). Ce dernier est pratiqué par bon nombre de Working Holiday. Cela leur permet d’économiser de l’argent et de visiter des endroits reculés de Nouvelle-Zélande. Cependant, cela reste contraignant car l’espace et l’électricité sont limités, il faut s’organiser pour se ravitailler régulièrement en eau, pour trouver des douches publiques. La pratique du freecamp est aussi limitée en fonction des véhicules et des lieux. Les véhicules self-contained, c’est-à-dire respectant un ensemble de normes en termes de capacités d’eau propre et d’eaux usées sont davantage tolérés. Or beaucoup de jeunes ont acheté des véhicules « basiques » aménagés avec un matelas et quelques planches. Ils doivent cuisiner dehors ce qui devient un vrai défi lorsqu’il fait froid, qu’il pleut ou qu’il vente.
Trouver un hébergement n’est pas toujours facile. Il a en effet fallu créer une offre de logement pour accueillir ces milliers de travailleurs. A Blenheim, le nombre d’auberges et autres types de logements a fleurit ces dernières années. Mais dans certaines régions, l’offre reste encore limitée. Rachel, Vietnamienne, a tournée dans toute la région d’Alexandra au mois de décembre avant que finalement une amie néo-zélandaise négocie pour elle une place dans un backpacker pourtant plein. Certains producteurs ont devancé le problème et ont aménagé des espaces plus ou moins précaires pour les saisonniers. Ainsi Liu logeait au milieu des cerisiers à Cromwell, dans une tente. Son employeur les hébergeait gratuitement et avait aménagé une cuisine et des sanitaires.
Une expérience enrichissante pour la Nouvelle-Zélande et pour les Working Holiday
Le manque de main d’œuvre dans l’agriculture en Nouvelle Zélande a contribué à l’implantation d’un réseau d’immigration temporaire marqué par sa jeunesse dans les espaces ruraux néo-zélandais. Celui-ci a changé le visage de ces régions, qui deviennent plus multiculturelles. Des services liés à cette immigration se sont implantés, l’économie a été dynamisée. Cependant cette aventure, marquée par pas mal de précarité, ne saurait plaire à tout le monde. Certains Working Holiday écourtent d’ailleurs leurs séjours. Une bonne forme physique est essentielle, ainsi que des réseaux sociaux et d’informations. La période de récession de 2008 a aussi limité les opportunités d’emplois. C’est ainsi que certains jeunes sont poussés à un « chômage forcé », sur des périodes plus ou moins longues. Alors que leur durée de séjour est restée relativement stable ces dernières années, autour de 8,3 mois par an en moyenne, le nombre d’heures travaillées par les Working Holiday a diminué lorsque le taux de chômage augmentait en Nouvelle-Zélande. Un rapport du Ministère néo-zélandais des Affaires, de l’Innovation et de l’Emploi de 2013 indique qu’en 2009[4], sur les 37 000 Working Holiday ayant séjourné en Nouvelle-Zélande, 25 000 ont perçu un salaire. Leur rémunération brute médiane s’est élevée à 9060 $NZ (environ 4650 € en 2010) pour une durée moyenne de travail de 4,2 mois. La Nouvelle-Zélande y gagne aussi économiquement en alimentant le secteur du tourisme et du loisir notamment sportif. Quant aux Working Holiday, ils profitent des paysages paradisiaques qu’offre ce pays et enrichissent leurs expériences. Ils n’hésitent pas à s’entraider et à essayer des formes plus économiques de voyage, notamment en faisant du WWOOFing ou du HelpX, c’est-à-dire du volontariat dans des fermes et d’autres structures tels que des auberges. Ils n’hésitent pas aussi à changer de secteur économique, en allant notamment aider à la reconstruction de Christchurch fortement endommagée par les séismes de 2011 et qui peine à être reconstruite. Cette aventure reste aussi, pour certaines nationalités et certaines classes sociales, une opportunité unique d’expérience de travail à l’étranger.
[publié le 15 juin 2014]
Pour découvrir plus de photos de la Nouvelle-Zélande, je vous invite à consulter la série "Au Pays du long nuage blanc".
[1] Quelques informations à transmettre par internet, ceux ayant séjourné dans un pays présentant un risque de tuberculose devront fournir une radio des poumons en plus
[2] Certains prénoms ont été modifiés afin de garantir l’anonymat à ces dernières ayant connu des situations d’exploitation
[3] http://www.dol.govt.nz/publications/research/labour-market-outcomes-recent-migrants-nz/recent-migrants-nz.pdf
[4] http://www.dol.govt.nz/publications/research/labour-market-outcomes-recent-migrants-nz/recent-migrants-nz.pdf