Printemps 20-20, ça sonnait bien pourtant, « 20-20 » pour un printemps.
Et puis c’est arrivé, coronavirus, confinement, injonctions, attestations !… J’ai haï ce morceau de papier qui me donnait une pseudo-liberté.
Et puis j’ai été bousculée.
30 dates prévues pour l’été dans un beau théâtre : reportées – puis re-reportées – puis re-re-reportées, puis… annulées pour cause d’embouteillage et de brouillard. Et voilà que l’un de mes principaux employeurs met la clef sous la porte de l’évasion. Une association de clowns hospitaliers. Au revoir, merci. 22 artistes déboulonnés. Corona nous a achevés. Et puis au fait, je vais m’entraîner où moi ? Mon trapèze et mon tissu vont sentir le renfermé, tout est fermé ! Et cette création – Jubilation, en cours, ce seule-en-scène qui n’a plus de scène pour répéter ? Les théâtres tombent en ruine. Les chapiteaux se sont envolés. La rue, l’espace public : fermé, interdit… Et mes élèves de théâtre, coupés en plein élan de découverte ?
Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ?
Je pleure, je crie. Les étoiles de mon ciel s’éteignent une à une. Alors, crier oui, mais continuer !
Je reprends le clown en milieu de soins, avec mon autre asso-pilier, les pieds bien sur terre, le nez bien à l’ouest. On reprend pour ne plus s’arrêter. Merci. Toujours à l’ouest et au cirque, je remonte sur mon trapèze ; au bord de l’océan, les cheveux médusés, je fais des petits films. Je rallume mes étincelles. Et je danse dans le salon. Je gratte mes quatre cordes, je gueule du Shakespeare, mes étincelles me rallument !
Un été finalement bien occupé : des sous débloqués pour les amuseurs publics, merci pour nous, merci pour eux. Et puis l’automne redevient morne, avec des sensations aiguës de vivre à l’intérieur d’un yo-yo. Oui ! Non ! Oui, oui ! Euh peut-être. Si, c’est sûr ! Ah finalement non. L’hiver s’installe, j’entretiens la flamme. Je vais me réveiller en collectif avec des vivants ; je reprends ma création – jubilation ; j’accroche mon trapèze chez moi et même dans un bar ! Je jongle avec tous ces précieux moments ; je lis des poèmes au téléphone à des gens, public d’un lieu fermé qui lui aussi a annulé, reporté, espéré, ré-annulé, reprogrammé. Solidarité.
Printemps 20-21. Un an. Les lieux – de culture – sont toujours fermés. L’air et l’espace public terriblement confinés. La précarité s’est multipliée. Solidarité.
Artiste, je me sens niée, méprisée, désossée. Et encore, moi, j’ai à manger. J’ai la chance de continuer à jouer, un peu. À travailler. D’un autre côté, je me sens attendue, désirée, essentielle. Pour le public, en manque. En manque de frissons, de sons, de mots, d’émotions. Solidarité.
Je me sens née. Je me sens nue. Alors, la boule au ventre, je rallume la boule à facettes, pour rester vivante.
Seiline Vallée, le 17 mars 2021