« Le dégât neuronal est immense, quand une société est privée de sociabilité, de culture, de plaisir. L’enfermement a des conséquences incalculables. La gestion sécuritaire ne prend pas en compte ce qu’est un être humain » alerte Didier Sicard, médecin, ancien président du Conseil Consultatif National d’Éthique.
Je me suis souvent demandé après une catastrophe où les populations perdent tout : Comment réagirais-je si je perdais tout ? Serais-je capable de rebondir, alors que je suis anesthésié par le confort ? Cette fois, la catastrophe concerne tous les habitants de la planète : le COVID-19.
Pendant le 1er confinement, beaucoup de choses se sont arrêtées brutalement, en particulier en ce qui concerne la culture, qui anime habituellement ma vie de retraité heureux. Au niveau du quartier, beaucoup proposaient des services et le soir, des groupes se formaient pour applaudir les soignants. Je m’interroge: que pourrait proposer un « vieillard à risques » pour participer à cet élan sympathique ? Je lis énormément, et me voilà proposant les romans et BD que j’avais le plus aimés. Un informaticien a créé un site où chacun a pu y mettre ce qu’il voulait, des infos, des poèmes, des recettes, etc. J’y ai mis un topo sur mon lombricomposteur. Je garde ainsi un bon souvenir de cette période, même si les échanges étaient superficiels. Mais on pensait que ce serait très court.
Durant le deuxième confinement, le paysage n’est plus du tout le même. Ça va durer et ça change tout. Cet enfermement devient réellement insupportable. Il n’y a toujours pas de culture, moteur essentiel à toute vie sociale. Les métiers indispensables, encensés au 1er confinement, on n’en parle plus.
Un des aspects qui m’a particulièrement marqué pendant cette période, c’est la place négative accordée par les décideurs aux non-productifs : les chômeurs, les vieux mais aussi les jeunes qu’on a oubliés… L’heure est plus que jamais à la déshumanisation. Ça me fait peur. Les frontières, que l’on était si fiers d’avoir supprimé, sont recréées. Manque de pot, le « variant » est anglais. Le virus, tel le nuage de Tchernobyl, ne doit pas passer la « frontière ». Comment va-t-on se relever d’un tel chaos ? Légèrement enclin au pessimisme, je me délecte en lisant « 1984 » d’Orwell, et « La Peste Ecarlate » de Jack London (écrit il y a plus de 100 ans). Va-t-on connaître un retour vers la barbarie ?
Certains discours proposent d’opposer les classes d’âges. C’est nouveau. Ainsi, Monsieur François de Closets, lui-même âgé pourtant de 88 ans, préconise sur RMC l’auto-isolement des plus de 75 ans au lieu d’un nouveau confinement généralisé. Pour lui, l’avenir des jeunes générations doit primer sur celui des plus anciennes. Mais une fois les vieux en cage, que va faire le virus ? Il sera dépité ? En quoi cela aidera-t-il les jeunes ? Je suis très inquiet pour eux.
Sans être dans un EHPAD, je revendique, à 78 ans, le fait d’être pleinement un vieillard, et je tiens à souligner que je le dois essentiellement au corps médical dans son ensemble (le service public), étant cardiaque depuis trente ans. Eh bien, plus le temps passe, plus j’ai de goût à vivre, besoin d’échanger, de suivre les cours de l’Université Permanente, d’aller à des concerts, à des conférences, de faire la lecture à des jeunes enfants. Et ma devise est plus que jamais valable : « Poussez pas derrière, pas si vite devant », tirée d’une patrouille romaine tétanisée dans un Astérix. Cela dit, il est normal de mourir quand on est vieux.
Pierre Baudry, le 07 Mars 2021